LIENS

Musiques, inspirations, processus, rencontres, annecdotes et histoires
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Bienvenue, je suis compositeur de musique de films et pour le spectacle vivant depuis une trentaine d'années et sur plusieurs continents. Voici quelques-unes des rencontres et aventures que j'ai eu le plaisir de vivre.

1. Temps fort - Shanghai, Chine (1)

Pour la création d’un nouveau spectacle basé sur une légende chinoise, le metteur en scène Giacomo Ravicchio et moi-même avions été engagé par le théâtre national de Chine à Shanghai en 2008. J'ai pu vivre une aventure inoubliable et participer à la création d'un formidable spectacle, ”The White Snake” qui  tourne encore aujourd'hui dans le monde. 

Durant deux mois à Shanghai, avec l'aide du producteur, Ray Liu, du Shanghai Dramatic Arts Center, nous avons travaillé d’arrache pieds. Les premières scènes et les visuels géniaux issus de l’imagination de Giacomo Ravicchio m’ont inspiré de composer une chanson et celle-ci allait devenir par la suite l’un des thèmes principaux de la pièce ”Beat of the White Snake”.

Si la mélodie et les harmonies étaient aux couleurs de l’Asie, je choisis d'utiliser une pulsation inspirée de l'Afrique et de la Jamaïque. La rencontre entre ces deux couleurs me semblait faire sens avec la nature de la saga contée ainsi qu'avec la proposition artistique du metteur en scène de la modifier dans une direction qui surpris bon nombre de chinois.

Pour préciser l'histoire : dans le conte d’origine ”White Snake”, deux démons serpents décident de se transforment en femmes humaines après s’être lancé le défi de conquérir le coeur d’un beau jeune homme. Giacomo Ravicchio a eu l'idée d'insérer une seconde histoire d’amour qui se tisse peu à peu entre les deux femmes démons.

Aux yeux du public chinois, cette nouvelle lecture fût un choc. L'homosexualité féminine était peu reconnue en Chine à ce moment là. Musicalement, cela m’a donc donné l’idée de légèrement ”pervertir” la musique traditionnelle chinoise à l'aide d'une pulsation ”étrangère”. Cette fusion peu commune pour le public chinois est venue soutenir l’étrangeté du rapport amoureux entre les deux femmes. 

Lors des répétitions sur ma partition avec la chanteuse Xiao Gong, j’ai été stupéfait par sa vitesse d’apprentissage - ainsi que par son habitude entre les répétitions, de manger des pattes de poulet comme des sucettes :) - Mais, elle avait de la difficulté à appréhender le rythme que je proposais. Les temps fort reposant sur le 2e et 4e temps de chaque mesure à 4 temps, cette pulsation ”bien terrestre” semblait la mettre à mal et face à une grande muraille. Je lui ai finalement proposé de tenter de danser ce rythme avec moi dans l'idée de l'aider à l'appréhender par le corps plutôt que par l'intellect.

Après un moment passé à danser sur scène ensemble, nous et l'assistance rigolions aux éclats lorsque je me mis à jouer du Bongo sur ses épaules en plus des pas dansés pour lui marquer les temps. Soudain, elle s’écrie en Chinois qu’elle vient de comprendre ! Xiao Gong a alors interprété avec une précision toute Chinoise la partition, de bout en bout et avec les bonnes pulsations.

A cet instant, il n’y avait plus un compositeur français et une chanteuse chinoise collaborant dans un anglais médiocre, mais deux musicien·nes sans barrières linguistiques faisant de la musique ensemble. Si je lui ai transmis un rythme qu'elle ne connaissait pas avant, Xiao m'a permis d'approcher les magnifiques inflexions et la musicalité du chant en chinois. Un immense merci à Giacomo Ravicchio qui a créé les conditions de ce si bel échange.

La première du spectacle fût un succès et aux dernières nouvelles, The White Snake était encore en tournée récemment, aux Bermudes. Cela me remplie de joie de savoir que, quinze ans après que nous l'ayons créé, d'autres gens découvre ce petit bijou autour du monde.


2. Nord & Sud - Shanghai, Chine (2)

Toujours dans le cadre du spectacle ”The White Snake” en Chine, le metteur en scène, Giacomo Ravicchio et moi avions décidé d’étudier la culture chinoise en amont de notre départ pour ces deux mois de création à Shanghai.

Durant les huit mois précédent ce départ nous avons ainsi exploré la musique, la mythologie, les arts graphiques, la danse, les masques, les marionnettes, les films et les finesses de la langue et de la culture chinoise. Je me rappelle de cette course effrénée d’informations et de données qui nous amenait à nous appeler fréquemment sur un sujet ou un autre, entre le Danemark et la Suisse. L’objectif était de nous permettre de plonger ”mieux équipés” dans cette aventure créative en Chine.

Concernant la musique, alors que j’écoutais en parallèle des chansons traditionnelles du sud qui accompagnent les moissons du riz et, des chansons du nord et de Mongolie qui m’évoquaient clairement le Blues, l’idée a germé de les faire se rencontrer. Mais... je ne savais pas trop comment m’y prendre. Je sentais qu’il me manquait une clé qui me permettrait d'écrire une mélodie apte à émouvoir un public chinois.

C’est un soir au bar du Dramatic Arts Center de Shanghai que m’est venue la solution. Lyn, notre chère traductrice et moi buvions un verre, lorsque je lui ai demandé de me lire l’une des poésie prévue pour le spectacle que j’enregistrais dans la foulée avec mon hand recorder.

Si j'étais au fait que la langue chinoise repose sur 5 sons ou inflections majeures, dès que lyn s’est mise à lire et au travers de sa prosodie (musicalité de la langue), la mélodie que je recherchais depuis des semaines est apparue. Pour moi, elle était évidente, juste là perchée au sommet des crêtes des phrases que Lyn lisait dans un chinois soigné.

Inspiré par toutes ces séquences musicales nouvelles, j’ai ré-orchestré ma maquette qui fusionnait donc les styles du sud et du nord de la Chine. L'instrumentation était assurée par les archets de deux instruments asiatiques : le Morin Khuur de Mongolie dont les sonorités ressemblent au violon alto et, le Erhu, violon chinois à deux cordes. Les archets des deux instruments sont fait avec du crin de cheval brut, ce qui met en avant le son de frottement presque au même niveau que celui de la résonance des cordes. Le résultat donne un son granuleux et organique que j'aime beaucoup.

Cette chanson est devenue le thème principal du spectacle qui a influencé mon écriture des autres musiques. Notamment, celles qui accompagnaient plusieurs scènes qui se déroulaient au bord ou sur une rivière aux eaux calmes. Il y a eu aussi celles pour les  combats au sabre, la magie, des chorégraphies au sein du décor projeté sur un écran de 11 m de long et beaucoup d’autres scènes que j’ai exploré et mis en musiques. S'ajoute à cela quantités de bruitages nécessaires aux environnements naturels ou aux effets spéciaux. Le résultat final était une bande musicale et sonore conséquente puis, la première du spectacle est arrivée...

J’ai ressentis un plaisir indéscriptible lorsque le public est venu me féliciter après le spectacle. La phrase d'une dame très digne et habillée de manière traditionnelle résonne encore. Elle me dit : «Comment vous ? Musicien d’occident, avez-vous pu composer ces musiques et chansons qui nous donne, à nous chinois, la sensation qu'elles viennent d'ici et que nous les connaissons depuis toujours ? ».

Mon plaisir redoubla lorsqu’un soir je reçu aussi un message de Tan Dun, célèbre compositeur de musiques de films à succès, tels que: Tigre & Dragons, Hero et bien d’autres. Il avait assisté au spectacle et m’a fait remettre un pli sur lequel il avait écrit :

«Very sensitive and brilliant score you've composed! I was touched, thank you for this beautiful voyage! Best regards, Tan Dun”.

Après ces mois de travail acharné et lorsque de tels retours me sont parvenus, c’était un peu comme si les gens et ce grand pays me disaient :”Ok, tu es adopté bienvenue chez nous”. Ce sentiment que ma musique fût acceptée malgré mes différences et mon origine a provoqué en moi un flot d'émotions que jamais je n'avais ressenti auparavant.


3. Le temple du renard - Osaka, Japon (1)

Kohey Nagadachi, metteur en scène, acteur et directeur de la Cie Kio, m’a invité à venir travailler avec lui à Osaka durant un mois et demi. L’histoire contée dans son spectacle voyageait entre aujourd’hui et le Japon médiéval. Il me convia également à composer pour un autre projet, celui d'un cabaret à Osaka nommé ”Gokko” (Le renard). Pour ce dernier, nous avons d'ailleurs fini par créer un spectacle.

Le second soir de mon arrivée, il m'invite à souper dans un restaurant de Fugu (poisson mortellement venimeux si mal préparé...). Je dois avouer j'étais moyennement rassuré en entrant, mais vite conquis à la sortie par tous les mets délicieux que j'avais mangé. Nous nous somme ensuite rendu dans son propre restaurant « Oval » pour continuer de discuter à propos des spectacles en dégustant quelques bons crus. Là, deux de ses amis se joignent à nous, deux moines du Temple du Renard en robe religieuse. Nous avons passé le reste de la soirée ensemble sur la terrasse du restaurant située au sommet d’un gratte ciel qui surplombe Osaka. Cet espace deviendra d'ailleurs plus tard, l'une de mes places favorites pour composer avec mon studio nomade et à l'air libre.

Dans la soirée, Kohey demande aux moines de m’interpréter un extrait d’un de leur chant religieux et ancestral japonais. Je tombe à la renverse devant la puissance et la beauté de leur voix à l’unisson. Nous tombons tous d’accord que cette ”couleur” pourrait correspondre aussi bien au climat de la pièce de théâtre qu'au projet de spectacle pour le Cabaret ”Gokko”. Nous envisageons donc de collaborer prochainement avec eux.

Quelques semaines plus tard, je me suis rendu au Temple du Renard, accompagné de Korin Sakura, actrice et co-administratrice de la Cie Kio qui est devenue une amie très chère. Je suis armé de micros et d’un enregistreurs portable et nous sommes reçus par une charmante dame en kimono. Elle nous sert le thé dans le dojo principal pour patienter. A l’entrée du temple, j'avais remarqué la présence d'une grande cloche de bronze et de l'énorme tronc suspendu à l’horizontale qui sert à la faire sonner. Je ne savais pas si on m'autoriserait à la jouer mais évidemment, j'avais des projets pour cette cloche magistrale !

Visiblement les moines étaient occupés et nous avons attendu un certain temps dans l'ambiance méditative du dojo. Au dehors, nous pouvions admirer un magnifique jardin zen avec ses sculptures minérales sans âge. Durant ce temps, mon amie Korin me raconte l'importance qu'occupe le renard ”Gokko” dans la mythologie japonaise. Il a donné son nom à ce temple qui le vénère ou plutôt les vénère puisqu'en fait, il existe une myriade de divinités et de démons renards qui interviennent dans un nombre incalculable de contes japonais.

Les deux moines arrivent enfin. Je m’attendais à les voir habillés de costumes religieux mais les deux hommes venaient visiblement de peindre une autre salle du temple. Ils entrèrent dans le dojo habillés de salopettes peinturlurées, les cheveux en bataille et avec un grand sourire. Après s’être chamaillé quelques minutes en tournant des textes gravés sur de petites plaquettes de bois reliées, il finirent par trouver un chant et se lancèrent. Dès que leur voix ont résonné dans le dojo, j'ai soudain basculé au temps des samouraïs et c'était une sensation merveilleuse.

Par la suite, j'ai travaillé ces enregsitrements avec différents effets et arrangements orchestraux et composé le titre : ”Cherry blossom Viewing and Sexy dance”. Ces voix qui sont de véritables machines à voyager dans le temps introduisent le morceau sous forme de cérémonial. Puis, le morceau glisse vers un style dance-music pour accompagner la ”chorégraphie des démons renards” que comportait le spectacle.
Sans oublier la cloche du temple que j’ai finalement été autorisé à jouer et sampler à souhait et que j'ai utilisé dans ma bande son. J’ai une grande gratitude en direction de Kohey, de Korin et de ces deux moines qui ont rendu ces instants possibles. 


4. Koto à Osaka, Japon (2)

A l’occasion du spectacle ”07-OSHICHI” de Kohey Nagadashi, je retourne au Japon à Osaka et retrouve avec grand plaisir mes ami·es de la Cie Kio. Un soir le metteur en scène me fait l’honneur de m’inviter dans sa belle maison traditionnelle où il me présente sa famille et son épouse Fumiko qui joue du Koto !

Fumiko est une maître du Koto (harpe japonaise sur table) et est aussi experte en ”Yabusame”, pratique du tir à l’arc à cheval. Durant la soirée, je lui dis que ce serait magnifique si elle acceptait d’enregistrer les parties de koto que j'ai imaginé.

Elle accepte avec un petit sourire en coin. Elle me fait même le grand honneur de me laisser essayer son instrument de concert qui est absolument magnifique. Je m’exécute avec joie et, assez rapidement, je tente quelques expérimentations telles que : slapper les cordes à la façon d’une basse électrique, tout en effectuant un glissando de l’autre main. Fumiko lève furtivement un sourcil d’étonnement avec un léger mouvement d’épaule, discrète manière japonaise d’exprimer une surprise contenue devant les sons étranges, maladroits mais inattendus que je produisais avec son instrument.

Je pense que c'est au moment où j'ai réussi à parfaitement imiter le son d'un ressort tombant dans un escalier que j'ai senti qu'il était temps que... j'arrête. Quelques jours plus tard, nous nous sommes retrouvés chez eux pour que je l'enregistre. Ses interprétations de mes partitions étaient parfaites et nous les avons religieusement écouté ensuite. C'était le printemps, les portes coulissantes de papier étaient ouvertes sur un jardin tenu à la japonaise. Les délicates notes de Koto se mariaient à la perfection avec cette végétation savamment sculptée.

En remerciement de cette si belle prestation, j’ai proposé de cuisiner pour toute la famille un filet mignon en croûte et aux champignons. Ce dernier a visiblement ravit toutes les papilles de la maisonnée. De nouveau, musique, cuisine, culture et amitié ont fusionné à merveille !


5. Prosodie - New Orleans, Louisiane, USA

A notre arrivée en Louisiane, les traces de l’ouragan Katrina étaient encore visibles partout, comme des cicatrices à ciel ouvert. La végétation, la moiteur du bayou, les soirées orangées, le son des brass-band et du dirty-blues des bars oeuvraient de concert. Ensemble, ils semblaient estomper les traces de cette catastrophe.

Nous étions venu en Louisiane en famille pour passer nos vacances d'été en compagnie d'une chère amie et collègue biologiste de mon épouse Sveva. Nous étions non loin de la Nouvelle Orléans dans une petite maison sur pilotis. Nous y avons passé des moments magnifiques. Lors de l’une de ces soirées louisianaise couleur bronze, Shannon invite à nous rejoindre son papa d’adoption, Bernie. Agé d'un peu plus de soixante dix ans et à la retraite, Bernie est un homme adorable et drôle.

La nuit venue et après quelques verres de vin de Californie, Il nous raconte son ancienne profession et vie de forestier. Il a passé des années à travailler dans les océans verts de l’Oregon. Le flux de sa voix posée et sa prosodie m’évoquent immédiatement les grands espaces et... le blues.

Après quelques instants, je lui demande s'il accepte que je l'enregistre avec mon smartphone pour garder la trace de ce moment qui pour moi est également musical. Il nous raconte alors une anecdote. Une histoire étrange qui lui est arrivée il y a plusieurs décennies de cela et qui l'a énormément touché.

Il était parti en mission, seul dans son véhicule tout terrain jusqu'au au fin fond d'une épaisse forêt. L'endroit qu'il devait contrôler n'était accessible qu'à pieds. Après quelques kilomètres de marche, il s’aperçut qu'il s'était complètement perdu. Au fil des heures passées à chercher le chemin du retour à sa voiture de fonction, sans eau et épuisé, son inquiétude ne cesse d'augmenter. Il sait que la faune et la flore ici ne fait pas de cadeaux aux imprudents. Le jour se fait vieux et il prend conscience que la mort peut venir le faucher dans les heures à venir.

Soudain, en traversant une clairière, un aigle apparaît dans le soleil couchant. À cours de solutions, Bernie se met à suivre par instinct la course du rapace dans le ciel. Après un moment et en l'observant avec attention, il perçoit que le visage de son père récemment décédé, apparaît à la place de la face de l'aigle !

La perte de son papa était encore cuisante comme une braise pour Bernie qui suit durant près d'une heure le vol de l'aigle. Concentré à tenter de discerner les traits de papa, il heurte soudain quelque chose de dur au détour d'un buisson. C'est son véhicule de garde forestier contre lequel il vient de se cogner ! Bernie est sauvé alors que l'aigle s'éloigne lentement dans le crépuscule. Fin de l'histoire.

Rentré en Suisse, j'ai travaillé cet enregistrement puis composé une musique inspirée de la prosodie de Bernie. J'ai utilisé une guitare blues qui rythme la progression pénible du forestier dans la forêt et, une autre steel guitare cette fois, mélodique qui vole sur sa prosodie.

J'ai pas la suite partagé cette exploration avec un ami guitariste danois, Jesper Folke. Excellent bluesman, il construit lui-même ses steel guitares dont certaines sont même découpées dans un capot de voiture. Armé d'amplificateurs vintages et de son phrasé blues, il a enregistré plusieurs pistes de guitares sur ce morceau. Ce dernier est encore chantier aujourd'hui et j'espère trouver le chemin, comme Bernie avait trouvé le sien, pour terminer un jour cette musique.


6. Aurore Boréale - Groënland, Danemark

Lors de la création du spectacle ”Fire” écrit par mon ami Giacomo Ravicchio (metteur en scène du Meridiano Theatre) et pour lequel j’ai composé la musique à Copenhague, j’ai fait la rencontre de Mads Humholt.

Mads jouait et chantait pour cette pièce. Elle était inspirée d'un fait divers dramatique survenu quelques années auparavant dans un village Groenlandais. Ce spectacle était aussi le dernier volet d'une grande trilogie Earth, Air and Water, Fire qui a aboutit à un formidable spectacle de... six heures ! (voir ci-après le texte N°20). ”Fire” mêlait donc cette histoire tragique du grand nord avec la magie et mystères des grands espaces polaires.

L'histoire de la pièce relatait un drame survenu quelques années plus tôt : après une fête de village dans une région proche d'Ilulissat, un adolescent essuie durant la soirée un très douleureux échec amoureux. Désespéré, acculé et trop alcoolisé, il rentre chez lui au milieu de la nuit, s'empare du fusil de chasse de son père et tue tous les membres de sa famille. Cinq innocentes victimes périssent cette nuit là.

A cette période, le Groenland n'avait pas de prisons. La coutume voulait que la justice soit rendue par le chef de village. Les peines allaient de gages (exemple : un hérmitage dans une grotte glacée durant un an) ou d'autres épreuves. Lorsque la peine de mort était prononcée, elle était infligée par le fusil du chef de village ou bien par l'expulsion du condanné, obligé de partir survivre seul sur la banquise (ce qui peut revenir à une peine de mort). À l'époque de cet évènement, c'était donc le Danemark qui imposait ses règles judiciaires et les prisonniers groenlandais étaient tous envoyés purger leur peine dans les prisons danoises.

De ce que j'en sais, ces règles n'ont jamais fait l'unanimité chez les groenlandais natifs qui n'y reconnaissent aucune véritable justice. Pour eux, les barreaux danois étaient équivalent à de terribles limbes où le condanné devra érrer pour l'éternité sans jamais trouver le pardon de son peuple et de ses ancêtres . Ces limbes de culpabilité l'empêcheront d'accéder à une ”noble mort”, puis à l'oubli des siens et finalement d'arriver de l'autre coté, aux terres vertes du paradis groenlandais : le green-land.

L'une des images les plus saisissante du spectacle était celle de Mads (incarnant l'adolescent accusé de meurtre). Dans sa célulle, il assistait à l'apparition d'une immense aurore boréale... sur scène. Il y avait aussi un épisode incroyable avec un sauvetage en hélicoptère sur la banquise (toujours sur scène) durant lequel le public pouvait sentir la neige et les bourasques de vent !

Concernant la musique, Mads est un talentueux chanteur, musicien et acteur. Il habite avec sa famille au Danemark. D’origine groenlandaise, il est le fils d’une célèbre chanteuse et héritier d’une tradition musicale ancestrale qu'il considère avec un immense respect. Il m’a initié aux rythmiques, chants et danses de cet endroit où ses ancêtres ont vécus et où sa famille vie encore ainsi qu'à l'importante place qu'occupe le shamanisme, le monde des rêves et bie des choses inexpliquables qui se produisent dans les profondeurs du desert blanc du cercle polaire.

Inspiré par ses histoires, son incroyable voix claire et toujours habitée, j’ai composé plusieurs musiques que je n’aurais jamais pu imaginer sans son concours. Au delà de la musique, il m’a aussi invité à découvrir d’autres aspects de la culture. Sa spiritualité, les us et coutumes des villages, comment la vieillesse et la mort sont considérées, l'identité de la neige, de la glace, du vent et sans oublier, l’humour si particulier des groenlandais qui adorent particulièrement les gags à répétition :)

Ces fenêtres qu’il m’a ouvert sur cette partie du globe m’ont permis d’envisager une profondeur nouvelle dans l’écriture de mes musiques, d’ouvrir d’autres dimensions pour la bande sonore du spectacle et, de nos passionnantes discussions, est née une amitié solide qui perdure encore quinze années plus tard.


7. Gamelan, Bali

Au détour d’une rue dans un village de Bali, j’entends au loin un orchestre de cérémonie répéter. La musique vient d'un garage un peu délabré où je découvre une dizaine de musiciens de tous âges. Entre deux morceaux, je demande à l’un d’eux si je peux assister à la répétition et il m’invite à entrer avec une grand sourire.

La majorité des musiciens jouent sur des Gamelans. Il s'agit en fait de gongs (Gamelan est me semble t'il, plutôt le nom donné à l'orchestre). L’un des instruments de l’orchestre est un métalophone composé de bols/gongs retournés. ils sont disposés à la manière d'un vibraphone.

La musique reprend et le musicien observe que je tape le rythme sur ma cuisse. Lorsque l’orchestre fait une pause, il me fait signe et me propose d’essayer son Gamelan. Il ne faut pas me le dire deux fois et je m’installe, heureux, derrière son magnifique instrument. Je prends en main les deux mailloches qu'il me tend.

Quelques vieux réflexes me reviennent du temps où je jouais de la batterie. Je mesure le poids et le point d’équilibre des deux baguettes puis je frappe sur le gamelan. La baguette se casse subitement en deux ! Honteux, je m’excuse platement de ma maladresse auprès du musicien mais lui, comme l’ensemble de l’orchestre, est plié en deux de rire.

Après avoir séché leurs larmes de rigolade, il me tend une nouvelle mailloche pour une nouvelle tentative. Entre les rires de l’assistance qui étaient plus que contagieux, j’ai eu l’immense plaisir de faire sonner le gamelan quelques instants avant d’adresser à tout l’orchestre plusieurs ”Terima kasih” pour les remercier en balinais. À la sortie, j’avais quand même l’impression de ressembler à ”un bucheron viking qui se serait essayé à faire du crochet…”.

J'aime beaucoup le Gamelan qui est un instrument puissant et vibratoire. Ses gongs résonnent longtemps et l’accordage à l’unisson de plusieurs de ces instruments n’étant pas aussi précis que les instruments dit ”modernes” occidentaux, la légère dissonance de leur accordage provoque des vibrations dans tout le corps.

Debussy a été, paraît-il, lui aussi ému par le coté modal de la musique balinaise, cette utilisation particulière de patterns en cycles et ces ruptures rythmiques soudaines qui ont inspiré son écriture. De retour chez moi, j’ai exploré les musiques de Bali et ses différents instruments que j’ai ensuite incorporé dans plusieurs de mes musiques.


8. Un frère italien à Copenhague, Danemark

Il faudrait un livre entier pour raconter toutes les aventures et toutes les anecdotes que j'ai eu la chance de vivre ces vingt cinq dernières années, aux cotés du metteur en scène, Giacomo Ravicchio. Que cela concerne d'ailleurs la création théâtrale ou notre amitié solide, c'est dense...

De m'être cogné à un éléphant au Tivoli alors que j'enregistrais les sons de la fête foraine ou, d'entendre mon nom sortir des speakers de l'aéroport de Copenhague alors que j'enregistrais l'ambiance... je ne compte plus les musiques, les bruitages, les questions, les obstacles, les enregistrements fous pour ces spectacles sur lesquels nous avons travaillé, ni la longue liste des gens des quatre coins du monde qui ont collaboré avec nous et la Cie Meridiano.

Giacomo et moi, c'est avant tout une amitié profonde avec celui que je considère être mon mentor pour le domaine du spectacle et une intarissable source d'inspiration. Son incroyable parcours de vie et professionnel pourrait à lui seul faire l'objet de plusieurs livres.

Parmi les choses que nous partageons, il y a l'engagement, la sincérité et la préoccupation de l'éthique artistique. À cela, s'ajoute la profondeur des thèmes qu'il a choisi de traiter, son imagination visuelle et le grand sérieux avec lequel il écrit pour le théâtre. Tout cela a bouleversé mon approche de la composition musicale.

Nous avons aussi quelques points communs tel que celui d'être des ”personnes déplacées” du fait que nous avons tous deux quitté notre terre natale pour aller vivre ailleurs et recommencer à zéro ou presque, dans une autre culture.

Notre duo partage aussi, je crois, une vision cousine du monde. Nous le considérons à la fois comme un grand village sans frontières et dont nous faisons partie et, également un puit sans fond de précieuses différences. Des différences que nous aimons découvrir et explorer sans cesse.

Tout cela participe ainsi à notre curiosité et, à ce qui j'apparenterais à une ”exploration de la Comoedia Humana” qui nous inspire et nous anime. Entre nous, nous nous accordons peu de concessions. D'un spectacle à l'autre, c'est même presque devenu un jeu que de faire remarquer à l'autre : ”Ha! Il me semble que tu as fait quelque chose de très similaire il y a cinq ans. Tu te rappelles pour le spectacle ”machin chose” :)

Avec le temps, nous avons donc formé ce duo d'artistes, cette intrication particulière qui sculpte aussi l'identité de tous ces spectacles sur lesquels nous avons travaillé.

Je dois absolument préciser que toutes ces créations ont été possibles, grâce au gigantesque engagement d'Elise Müller Ravicchio. Aujourd'hui épouse de Giacomo. elle est fondatrice, actrice et directrice de production du Meridiano Theatre. Pour moi, elle est cette ”guerrière viking” qui malgré les innombrables tempêtes que la Cie traverse régulièrement, réussie contre toutes attentes à tenir à flot le ”drakkar Meridiano”. Il y a aussi, Lars Begtrup, acteur et régisseur technique et également co-fondateur de la Cie. Son inimitable sérénité, sa présence sur tous les fronts, font de lui aussi un véritable pilier de cette si belle Compagnie.

Le théâtre Meridiano est devenu aussi un lieu et un outil de production comme il en existe peu. Bien d'autres compagnies louent d'ailleurs le théâtre dès qu'il est libre et parce qu'il est extrêmement bien conçu. Sur le mur de la cuisine commune, il y a ce panneau qui assemble les photos de centaines de collaborateurs·trices : acteur·trices, acrobates, musicien·nes, marionnetistes, technicien·nes, admisitrateur·trices... Tous ces gens de talent qui au fil des productions ont jalonné plus de vingt cinq années de productions théâtrales.

Vous l'aurez compris, c'est une bien étrange famille et qui est chère à mon coeur. Je travaille à Copenhague en général deux mois avec mon studio nomade et à raison d'une création par an. En plus de vingt cinq ans, j'ai donc passé un temps considérable au Danemark. Pourtant, à ma grande honte, je ne parle toujours pas danois. Hormis des drapeaux qui se ressemblent étrangement, je trouves qu'il y a des similitudes entre le coeur des danois·ses et celui des suisse·sses. Est-ce dû à la religion ? À la taille du pays ou à certains codex populaires communs ? Je ne sais pas, mais ces deux peuples sont pour moi résolument cousins.

Concernant la musique, à Meridiano j'ai aussi ce que j'appelle ma ”big trash music”. C'est l'énorme poubelle où j'ai jeté un nombre incalculable de compositions ratées ou rejetées. Elles étaient tantôt hors sujet ou ne me plaisaient finalement pas ou encore, elles s'avéraient ne pas servir au mieux une scène ou un caractère. Peut-être un jour, le contenu de cette poubelle fera l'objet d'un projet d'album qui pourrait être nommé : ”The big trash music” ou ”my poubelle stream” :)

Enfin, il y a les thèmes des spectacles de Giacomo qui m'ont permis d'explorer des dizaines de pays, de cultures et/ou de psychologies différentes. À chaque fois, le défi se pose (à lui et moi) d'éviter à tout prix de composer une ”carte postale musicale” du pays ou de la culture concernée par l'histoire contée. Pour la musique, je dois trouver sa substance profonde et me tenir loin des stéréotypes. Les meilleurs outils que j'ai trouvé pour passer cet obstacle c'est le respect, l'admiration, l'étude et l'amour envers cette autre culture. Ils sont aussi les meilleurs moteurs que j'ai trouvé pour écrire ces musiques.

Giacomo Ravicchio fait donc intimement partie de ma vie et de ma musique. Je ne le remercierai jamais assez d'être pour moi, à la fois un turbo réacteur créatif et de m'avoir proposé de regarder autrement le monde.


9. Musique et Famille

Lorsque j'ai rencontré ma future épouse au milieu des années 90 et que nous avons compris que nous étions véritablement amoureux, je me rappelle d'une discussion que nous avons eu en projetant de nous installer ensemble. J'avais insisté sur le fait que notre couple aurait à accueillir une ”troisième entité” et qu'elle prendrait sans doute une certaine place dans notre ménage : la Musique.

Partager sa vie avec la musique, selon moi, c'est accepter de vivre avec une maîtresse souvent peu accommodante, un boss impitoyable, des obsessions, des réveils intempestifs. Elle n'hésite pas à se manifester jour et nuit ou même à s'inviter en plein centre d'une discussion avec quelqu'un quel que soit le sujet. 

Par chance, mon épouse Sveva est, elle aussi, passionnée par son activité de biologiste, didacticienne des sciences et enseignante. Ce qui se passe pour moi se passe donc pour elle aussi. De fait, au départ notre couple comptait quatre entités (Sveva, moi, la biologie et la musique). Puis, à la naissance de notre fille Gaia, nous sommes passé à cinq entités qui se monte aujourd'hui à six depuis que Gaia est devenue photographe et réalisatrice. Pour résumer, nous sommes nombreux :) 

En regardant mon parcours, je ne peux imaginer ma musique ni être ce que je suis devenu sans la présence et le concours de mon épouse et de ma fille. Qu'il s'agisse de mes convictions, de mes doutes, de mes joies ou les raisons pour lesquelles j'ai envie d'avancer, sans elles tout cela ne pourrait exister.

Je pense aussi que c'est la constance de cet amour profond que nous partageons qui nous permet de naviguer humainement, scientifiquement ou artistiquement. Les eaux parfois troubles de la vie de compositeur ou du monde du spectacle n'ont rien à envier aux tempêtes qui peuvent agiter le domaine scientifique. Le fait que nous aillons des disciplines différentes est aussi je crois salvateur. Cela nous permet de parler ”d'autre chose” et de relativiser parfois aussi nos propres difficultés.

J'ai une image qui me revient aussi souvent et qui illustre selon moi assez bien la vie de famille, c'est celle du système solaire. Je nous vois un peu comme des planètes qui gravitent ensemble. Il y a la gravité de chaque individualité qui influe sur celle du groupe ainsi que sur nos révolutions et tout cela participe à définir un cap pour l'ensemble. L'ensemble de ce système familiale file alors à une vitesse vertigineuse et dans une direction inconnue de l'univers tout comme le fait notre système solaire ou les galaxies.

Dix années de tournées, de studio et de concerts m'ont amenées à être constamment sur les routes et j'ai constaté un nombre important de tragédies familiales et les grandes difficultés que traversaient plusieurs de mes amis musiciens.

Cela m'avaient alerté sur les difficultés de concilier musique live et vie de famille. De fait, lorsque notre fille est venue au monde en 98, j'ai décidé d'arrêter net ma carrière de musicien de scène. Je me rappelle alors avoir fait le tour de toutes les formations, groupes, orchestres avec lesquelles je jouais parfois depuis longtemps et, de leur avoir fait mes adieux pour tenter de devenir uniquement compositeur.

Par la suite, si je pouvais la plupart du temps travailler chez moi et proche de ma famille. il m'a tout de même fallu partir annuellement, environ un ou deux mois pour créer la musique de spectacles ou de films dans d'autres pays. Ces séparation étaient souvent douloureuses. J'expliquais à ma fille qui, parfois vivait mal ces absences que grâce à ces voyages je pouvais faire ce qui me passionne. J'allais aussi en revenir  chargé de nouvelles histoires à lui raconter. Le cérémonial de mes retours était souvent, plusieurs jours et longues soirées durant lesquelles je devenais conteur, arrosé d'une pluie de ces questions. Je lui racontais entre autres, le plot du spectacle, les musiques, les choix artistiques, les obstacles et les nouvelles rencontres. Je dois énormément à mon épouse qui, durant mes mandats à l'étranger, tenait à elle seule et au quotidien, la barre du bateau familial !

Puis en 2000, une nouvelle question s'est présentée. Celle de quitter potentiellement la France pour suivre mon épouse qui avait une nouvelle opportunité de travail dans sa Suisse natale. Ce choix n'était pas évident à faire. J'avais jusque là bataillé durant dix années pour devenir l'un des compositeurs de musique de publicité pour la télévision française. J'y étais finalement parvenu et je gagnais enfin dignement ma vie. Mais j'ai évidemment choisis de suivre celle que j'aime. Cela, m'a amené à faire un nouveau tour pour dire ”en revoir” et cette fois, ce fût mes adieux aux agences de production audiovisuelle et aux réalisateurs avec qui je travaillais à ce moment là pour le cinéma et la télévision. Cela fait, c'était parti pour un déménagement en Suisse.

En l'espace de deux ans, j'ai ainsi dit en revoir à deux parties conséquentes de ma vie. Je suis parti un peu à l'aveuglette vers ce nouveau pays pour un re-départ depuis zéro ou presque. Nous voilà en 2000 et nous nous installons dans un petit appartement à Lausanne.

En Suisse, j'ai eu à faire avec de nouveaux codes, nouvelle cartes, nouvelle mentalité, un système politique différents, un autre humour, des particularités de langage, un nouveau tissu social, etc. Ce fût un gros bouleversement et aussi une belle exploration. Aujourd'hui, entouré de l'amour de celles que j'aime et d'amitiés nouvelles, je me sens bien dans cet autre pays où il a fallu à peu près tout recommencer.

Je fais maintenant face au lac Léman et à de magnifiques montagnes, dans le petit chalet que nous louons dans les vignes du Lavaux. Souvent, je sort sur notre balcon de bois, j'écoute le mixage sur lequel je travaille en regardant les montagnes et je leur demande : ”alors, ça vibre ça ? ou bien ?”.

Bien-sûr l'énergie de Paris où j'ai grandi me manque parfois. En Suisse, j'ai toutefois découvert une paix nouvelle et une sereinité bien difficile à croiser dans la Capitale. Ce nouveau mode de vie a également, je crois, modifié mon écriture musicale.


10. Premières notes à Paris, France

Né en 1968 à Nancy, c’est à mes deux ans que mes parents ont décidé de déménager pour Paris. J’ai grandi à Montmartre en compagnie de mon petit frère, Alexandre. Mes parents se sont alors lancé dans le film d’animation et ont ouvert leur studio PINK SPLASH, dans un ancien magasin non loin de la rue Lepic où nous vivions.

Là, ils réalisaient des films d’animation sur des feuilles celluloïds. Mon père était au trait et ma mère à la colorisation. Moi, je m’amusais souvent à surfer sur les ratés qu'ils jetaient au sol et il faut savoir que le celluloïds glisse magnifiquement bien sur la moquette ! Mon père composait aussi les musiques de leurs films avec un orgue et une guitare ainsi que ses chansons. Ils enchaînaient aussi les vinyles sur la platine du studio pendant qu'ils travaillaient et, d’Oscar Peterson à Gilberto Gil, de Gainsbourg à Nougaro en passant par Chopin, la musique était omniprésente.

C'est sans doute là que se sont forgé les prémisses de ma palette musicale et que je continue d’alimenter depuis maintenant plus de cinquante ans. À l’âge de neuf ans, j’ai construit une batterie. C'était à l’aide de barils de lessive en carton, de scotch et de tout ce que je pouvais trouver dans la maison. Mes parents voyant que je passais des heures à en jouer ont décidé de m'offrir une batterie (de débutant) comme cadeau de noël. Une grande émotion !

Je jouais sans cesse sur cette batterie et sur les disques des beattles, Franck Zappa, Mahavishnu, Genesis et bien d'autres. Puis, je l'ai mise en vente afin d'acheter un par un, les éléments d’une ”vraie” batterie. Chose faite, j'ai rencontré plus tard, Laurent, un garçon de quatre ans plus âgé que moi et qui est devenu mon ami. Un jour, je l'ai invité à essayer de jouer sur ma batterie et c'était la première fois de sa vie. Son jeu était si supérieur au miens alors que je m'entraînais quotidiennement que je me suis mis à  chercher un autre instrument pour l’accompagner et, c’est ainsi que j’ai commencé le piano. Mes parents me proposèrent quelques temps plus tard de prendre des cours.

A l’âge de douze ans, ils me présentèrent à Michel Sardaby, pianiste, compositeur et jazzman renommé. Il lui demandèrent s’il serait d’accord de me prendre comme élève et il accepta. Il habitait non loin de la place blanche dans le quartier de Pigalle. Chez lui, j’ai étudié la musique et le piano à raison de deux fois par semaine et durant sept années.

Sa méthode d'apprentissage était aussi stricte que son influence psychologique était profonde sur moi. La première année, il m’apprit à m’asseoir et à me tenir devant le piano. Puis, j'ai appris à enfoncer les touches, puis à les relâcher. La seconde année, vint la lecture de partitions, du chiffrage américain des accords. Les années suivantes continuèrent avec mon apprentissage des grands standards de jazz contenu dans le fameux ”Real Book”.

Lorsque je repense à ces années d'enseignement, me vient en tête l'image de Yoda avec son jeune Padawan, Luke Skywalker dans ”La guerre des étoiles”. Avec une grande exigence, Michel m’a appris l’importance d’être à l’écoute, de rechercher l’essentiel dans une musique, de se débarrasser l’esprit des pensées qui peuvent polluer le rapport intime avec une mélodie, de trouver sa substance pure en se débarrassant des ”gadgets” ou de prétentions inutiles et réussir à rester aligner avec sois-même pour jouer au piano. Autrement dit, ”less is more”, engagement maximum et zéro concessions.

Comme j'étais très jeune, beaucoup de ces concepts m’échappaient. Egalement du fait que cette discipline qu'il m'enseignait était très éloignées de ce que je vivais au quotidien dans ma famille. Je dois avouer que le chemin fût long et parfois douloureux durant ces sept années mais je lui dois énormément.

J’ai donc ainsi grandi entre le doux chaos créatif et le tissu social festif de mes parents artistes et, cette rigueur presque monacale, la discipline quasiment militaire de mon maître de musique. Une sorte de double enfance ”combo” qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui.


11. Raï à Zürich, Algérie, France, Suisse

Au milieu des années 90, j’étais en tournée avec le groupe de Raï-music (pop-funk Algérienne) ”Djam & Fam”. Nous étions dans un bus de tournée en direction de la Suisse pour une série de concerts dans les principales grandes villes. La tournée débutait par la fameuse salle de concert ”Rote Fabrik” à Zürich.

Depuis le départ de Paris, l’humour algérien qui est très contagieux fusait dans le bus. Peu après notre entrée dans les rues de Zürich, le bus pile soudain d'un seul coup sur ses freins ! À quelques mètres devant sur la chaussée, nous découvrons alors des nuées d’hommes et de femmes... nu·es, en train de courir en tous sens !

Quelques secondes plus tard, une autre nuée débarque, cette fois c'est celle de policiers habillés en robocops, agitant matraques et boucliers. En fait, nous étions en train d'assister au moment exact où les autorités de Zürich chassait tous les junkies et dealers du parc où ils avaient élu domicile plusieurs années durant. Bouches béates, collés au vitres du bus, nous suivions du regard ce tableau surréaliste, et si loin de la carte postale de la Suisse que l’on peut s’imaginer la première fois qu’on la visite.

Après cet évènement, le concert fût mémorable à la Rote Fabrik. La communauté nord africaine était venue en masse. Ce ”funk orientale” que nous jouions faisait trembler les murs et danser les corps jusqu'à la transe. Le service d’ordre eut même eu du mal à empêcher le public d’envahir la scène. Un grand plaisir.

Dans la musique raï, le rythme ternaire, 6/8, est souvent utilisé mais, il diffère de celui que nous employons sur le vieux continent. L’un des musiciens algérien m’avait d’ailleurs transmis le moyen d’apprendre à l'aborder, en me disant : ”c’est un peu comme votre 6/8 sauf qu’il faut que tu t’imagines avoir tes deux bras dans le plâtre quand tu le joue...”, autrement dit, les six battements par mesure sont à jouer plutôt ”after-beat” (avec un léger retard sur les temps). Des variables peuvent aussi intervenir d’un cycle à l’autre. Des instruments illustrent cela particulièrement bien, ce sont les qraqeb ou Karkabous (sorte de grandes castagnettes de métal d'origine Gnaoua).

Ces années de raï passées en compagnie de nombreux musicien·nes, en plus de me transmettre cet humour nord africain unique, m'ont aussi et surtout appris une nouvelle manière de groover.


12. World music education, Paris, France

Entre fin 80 et début 90, je virevoltais entre les expériences de musique de scène, de studio, de musique pour le théâtre, le film et la publicité. C'est aussi à cette période que ma curiosité pour les musiques du monde et les nouvelles technologies musicales ont explosé.

Les premiers samplers (claviers échantillonneurs) accessibles au public arrivaient sur le marché. Je les avais entendu dans les albums de Pat Metheny et Lyle Mays, Weather Report et d'autres artistes. Passionné à l'idée de pouvoir avoir moi aussi avoir des sons du monde ou des sons abstraits à jouer sous mes doigts, je n'ai pas tardé à en trouver un d'occasion. C'est une antiquité aujourd'hui.

En l'expérimentant, l'idée m'est venue d'enregistrer un petit bol tibétain que j'avais à la maison. Mon but était de transformer toutes les sonorités qu'il pouvait produire en un instrument polyphonique, jouable sur un clavier. Chose faite, bizarrement j'ai composé avec lui une mélodie de type irlandaise. J'ai rapidement eu la conviction qu'il me manquait un élément clé pour parfaire cette musique qui est resté en plan quelques semaines. Jusqu'à ce que je rencontre, devant le musée d'Orsay, deux jeunes japonaises nommées : Yu & Yoko.

Elles commençaient à peine leurs études aux beaux-arts et ne parlaient pas encore Français. Au cours de la discussion dans un anglais improable, je leur ai demandé si, à tout hasard, elles savaient chanter ? Puis, si elles seraient d'accord de venir eregistrer une chanson dans mon studio ? Ce qu'elles acceptèrent.

Autour du micro quelques jours plus tard, sur un concept que je leur proposais nous écrivons ensemble des paroles en japonais. Le thèeme était : le ”je t'aime” étant peu usité au Japon, les métaphores poétiques lui sont souvent préférées. La chanson raconte la rencontre entre deux amoureux qui se disent ”je t'aime” sans pourtant jamais  le prononcer. La rencontre entre les voix soprano de Yu et Yoko à l'unisson avec l'instrumental aux couleurs irlandaises fût un petit miracle.

Ce titre ”YU & YOKO” fût d'ailleurs le premier d'une longue série de collaborations du même type que j'ai entrepris avec des artistes des quatre coins de la planète. Je les ai tous et toutes rencontré à Paris et de cette manière, j'ai aussi créé ma propre formation aux musiques du monde sur une dizaine d'années.

En plus de générer de nouvelles amitiés, cette exploration a peu à peu remplie ma palette musicale avec de nouvelles couleurs et de nouvelles saveurs. Cette plalette est celle que j'utilise encore aujourd'hui pour composer pour le cinéma ou le théâtre et que je m'emploie toujours à compléter.


13. Assa, Mali, Afrique

1991, je suis en plein dans mon exploration des musiques du monde. N'ayant pas les moyens de voyager, j'ai entrepris d'apprendre en allant à la rencontre d'artistes du monde entier qui sont présents à Paris. De communautés en quartiers, j’ai eu ainsi la chance (que j'ai souvent provoqué) de rencontrer et d’apprendre avec beaucoup de musicien·es et chanteur·ses d'origines diverses.

Il y a eu notamment ma rencontre avec une chanteuse malienne. Elle a débuté un soir alors que je dégustais un délicieux maffé poulet, dans un petit restaurant malien du quartier de la Contre Escarpe. À la fin du repas, inspiré par les goûts et l'ambiance, me viens l'idée d'aller discuter avec le cuistot et lui demander, si par hasard, il connait une chanteuse africaine qu'il recommanderait ? Il saute alors tel un cabris et me crie que je dois absolument contacter Assa Kebe Drame ! Il me donne son contact et je téléphone peu après à Assa pour lui proposer de venir dans mon studio et d'enregistrer sa voix sur une composition que j'avais préparé, ce qu'elle accepta.

Au studio, nous faisons plus ample connaissance. Elle m'apprend qu'elle est également griotte (conteuse-chanteuse) et fille d'une célèbre chanteuse griotte du Mali. Nous convenons d'écrire des paroles en malien à la manière des Griots sur le thème d'une nouvelle naissance dans un village voisin. C'est celui de l'enfant d'un personnage fictif, Mme Koné (mais j'ai cru comprendre que cette personne existe vraiment au Mali). Nous nous sommes si bien entendu que, d'une seule chanson nous sommes passé à trois. Assa est devenue une amie.

Elle est donc revenue à plusieurs reprises enregistrer. La fois suivante, c'était elle qui avait donné naissance à la petite Fanta. Elle la tenait attachée avec un tissu dans son dos et, pendant l'enregistrement, il arrivait que Fanta se prenne pour une choriste en ajoutant quelques gazouillis qui ont coloré la séance). Un autre jour, Assa est venue avec un énorme sac qui contenait tout le nécessaire pour cuisiner le maffé poulet à la malienne et qu'elle voulait m'apprendre aussi à faire. Délicieux.

Assa m'a initié au monde des Griot·tes, aux valeurs africaines concernant la famille et les amis, à sa cuisine et à sa musique. En échange, je lui ai donné les enregistrements de nos chansons avec lesquels elle est retourné au Mali. Ils ont paraît-il fait fureur dans les boites de nuit de Bamako puis, elle a fait aussi un clip réalisé par mon frère Alexandre. Ce clip est passé ensuite avec succès sur les chaînes malienne.

Assa a surtout levé pour moi un coin de rideau sur cette immense partie de l'Afrique qu'est le Mali, pas seulement par les mots mais aussi par sa manière de vivre, de rire, de manger ou d'élever ses enfants. Elle m'a raconté une foule d'histoire comme savent le faire les griot·tes. Des histoires qui parlent du coeur et de l'esprit des gens qui vivent là-bas. Et puis il y a son ”groove”, ses effets de voix inattendus et la puissance de son interprétation qui ont bousculé, eux aussi, ma musique.


14. Jam’s Cave Session, Cuba

C’était au début des années 2000, durant un voyage à Cuba. Arrivés au nord du pays, mon épouse et moi avions organisé la visite d’une caverne avec un guide. Après avoir traversé un bout de jungle où nous avons aperçu un énorme serpent en train d'avaler une poule... l'entrée de la caverne se dévoila enfin sous la végétation luxuriante.

Après quelques pas à l'intérieur, la lumière du jour s'était déjà évanouie. Alors que nos yeux tentaient avec difficulté de s'adapter à la pénombre, nous découvrions peu à peu d'incroyables drapés de roches et autres sculptures minérales de cette caverne.

Plus loin, en entrant dans une grande salle avec un plafond si haut qu’il était à peine visible, nous étions bras ballants devant une épaisse forêt de stalagmites et stalactites géantes. Certains endroits de cette salle faisaient même penser aux tuyaux des orgues de la Cathédrale Notre Dame de Paris.

A mesure que nous avancions, j’avais les doigts qui fourmillaient de plus en plus d'envie de faire sonner ces grands tuyaux de pierre. N’y tenant plus, je finis par demander au guide s’il m’autorisait à les toucher. En guise de réponse, il joua un roulement de percussions sur l’une des stalactite, suivi de quelques mesures d’un rythme de salsa. Il conclut sa démonstration en nous disant que lorsqu’il ne travaillait pas comme guide il jouait les Congas dans un orchestre de la région.

Il m’invita à choisir ”mon instrument” pour l'accompagner. Ni une ni deux, je choisis deux stalactites de tailles et de tonalités différentes pour lui répondre avec un break rythmique, typique des timbales cubaines. Il rigole, comprends que je joue moi aussi un peu de musique et nous voilà partis pour une Jam Session souterraine ! Sveva s’est également jointe à nous et notre trio a résonner la caverne un bon moment.

Après ces improvisations et avant de remonter de la grotte, je lui ai demandé si je pouvais enregistrer le son de chaque stalactite avec mon smartphone. Surpris, il me demanda pourquoi faire ? Je lui expliquais alors mon projet de créer plus tard un instrument virtuel à l’aide de ces sons. A mon grand bonheur, il me laissa le temps de faire le tour de cette forêt de roche pour enregistrer chacune des stalactite avec des frappes et des volumes différents.

De retour en Suisse, j’ai classé chaque son suivant sa tonalité, je les ai échantillonné et légèrement re-accordés à l’aide d’un sampler. Après une bonne journée de travail, j’avais un magnifique ”Lithophone géant” ou un ”Stalactiphone” jouable sous mes doigts.

J’ai utilisé à de nombreuse reprises cet instrument très organique pour différentes musiques de théâtre ou de films. En particulier, le son de la plus grave des stalactite dont j’avais encore descendu la tonalité d’une ou deux octaves plus bas et qui est devenu un son de sub-basse impressionnant et que j’affectionne particulièrement.


15. Madagascar à Paris

Après avoir dû déménager à maintes reprises de différents endroits de Paris intra-muros (le plus souvent parce que le voisinage n’appréciait que moyennement mes heures de travail musical ou les soirées festives que j’organisais avec des ami·es musicien·nes), je trouve finalement refuge de l’autre coté du périphérique dans une petite maison à Ivry sur Seine. Là, ma musique et les jam-sessions avec mes amis ne dérangeait pas grand monde. Un soir, on sonne à ma porte...

Devant moi se tient un homme un peu frêle et visiblement d'origine malgache. Il a une guitare dans une main, des partitions dans l'autre et un sac à dos jeté sur l’épaule. Malgré son grand sourire, il semble très fatigué et a presque l’apparence de quelqu’un qui aurait voyagé à pieds de Madagascar à Paris. Il se présente, Carson Rock Ranger.

Il me dit venir de la part d’un de mes amis proche qu’il a rencontré à Tananarive. Ce dernier lui a conseillé de venir chez moi au cas où il se rendrait à Paris et, s'il ne trouvait pas de logement que je pourrais le dépanner. J’invite Carson à entrer et l’invite à rester 2-3 jours pour l'aider. Je lui propose ensuite de lui préparer quelque chose à manger. Alors que je commence à peine à cuisiner, il prend sa guitare (qui me semble être construite en papier mâché) et il joue de mémoire plusieurs suites de Bach. Il est incroyablement bon. J'ai peine à croire que les sons que j’entends sortent de cet instrument qui a l'air bien fatigué lui aussi.

Carson me raconte ensuite son parcours à Madagascar. Il me parle de son rêve de faire carrière à Paris qui l'a amené à économiser plusieurs années afin de pouvoir payer le voyage. Ces deux jours d’accueil se sont peu à peu transformés en deux mois, avec une belle amitié à la clé. Durant cette période, j'ai proposé à Carson de l’aider à démarrer ses démarches dans la Capitale en lui permettant d’enregistrer ses maquettes dans mon petit studio et au besoin, avec mon aide.

En échange, il m’a permis de découvrir la musique malgache et il m'a aussi raconté son pays et sa culture. Lorsqu'il ne s'agit pas de ballades, la musique malgache invite le plus souvent à la danse. Il s’agit souvent de marches à deux temps avec au dessus, des triolets de croches qui semblent courire derrière un train :) Le tempo rapide est majoritairement conduit par des accords rythmiques au Kabosy (petite luth) et soutenus par le Hazolahy (gros tambour grave). La partie mélodique et les harmonies sont elles partagés entre le chant des choeurs et/ou le Valiha (harpe autour d’un bambou qui sonne comme une Kora).

Après deux mois, armé de ses CD de maquettes, il m’annonce qu’il vient de trouver par l'intermédiaire de la communauté malagache, une co-location à Paris. L’histoire aurait pu se terminer là.

Trois ans plus tard, je reçois un courrier avec une invitation à un concert à la mythique salle Pleyel à Paris de la part de Carson Rock Ranger et son orchestre ! Lorsque je suis entré dans la grande salle de concert, elle était majoritairement remplie d'un public malgache qui portait de belles robes et des costumes du dimanche. Carson était sur scène entouré d’une demi douzaine de musiciens.

Après plusieurs morceaux de sa composition, il fait une pause pour prendre le micro et à ma grande surprise commence à raconter au public : mon accueil, mon aide pour ses maquettes qui ont contribué à sa présence sur scène ce soir. Puis, il demande à la technique d'allumer la salle, me repère et m’invite à le rejoindre sur scène ! 

Heureux de nous retrouver, nous nous prenons dans les bras puis, avant de donner le signal à l’orchestre d’enchaîner, il me met un tambour dans les bras... Démarre alors une musique que je découvre et je fais de mon mieux pour essayer de suivre. Me voilà donc sur scène à improviser. Les breaks inattendus et la rythmique qui s’emballent me mettent à mal et je commence à être un peu perdu jusqu’à ce que je remarque dans la salle, proche du bord de scène, une brochette de petits enfants malgaches en costume cravate qui dansent à tout rompre. En observant leurs pas, ils me remettent rapidement sur les rails du beat, ouf sauvé !

En sortie de scène je demande à Carson pourquoi l’orchestre accélérait à ce point le tempo ? A cela, il me répondit avec une question magnifique :”Et toi ? Quand tu fais l’amour… tu ralentis ?”.


16.  Cherche un son, Algérie, France

Je suis en studio à Paris pour enregistrer l'album et préparer la tournée en France du violoniste algérien, Djamel Ben Yelles avec le groupe Jam & Fam. Avant sa venue à Paris, Djamel était 1er violon à l’orchestre symphonique d’Oran. En plus de son jeu qui fusionne les rythmes traditionnels Gnawa avec le funk, le rock ou le reggae, Il a développé une signature sonore particulière en ajoutant à son violon plusieurs pédales d'effets. Nous avons passé plusieurs années à jouer ensemble.

C'est le milieu des années 90. Djamel est donc à mes cotés dans ce studio et il cherche à construire l’introduction d’un nouveau morceau. Il me demande avec son humour habituel et son accent algérien : ”Jérôme, Jérrrôme mon ami... pour ce titre, j’aimerais une intro avec un son… tu vois ? Un son vraiment… énorme le son… enfin, un son plutôt... tu vois ?”.

Je m’exécute et superpose un grand nombre de couches de sons de synthèse, de bruitages et de nappes de cordes. C’est prêt ! Ce son est complexe, énorme et impressionnant. Je fais sonner sur quelques accords à Djamel qui se gratte le menton. Il l’écoute attentivement avant de pencher vers moi pour me dire d’une voix douce et pleine de suspens : ” A la vérité Jérôme, à la vérité vraiment, c’est très très bien, vraiment… c’est bien…mais, s’il tô plaît… arrête”.

Je crois que j’ai rarement autant rigolé. Cette phrase est par la suite même devenue une ”private joke” partagée par d'autres musicien·nes. Finalement, à force de chercher ce son d'introduction, nous avons fini par le trouver et il devint l'ouverture de nombreux concerts qui suivirent et... à la vérité, il était vraiment... très très bien.


17.  World music Festival, Budapest

Aux alentours de 1993, j'ai eu ma toute première rencontre avec la musique raï, gnaoua et autres influences orientales. Tout a commencé un vendredi vers 15h. J’ai reçu un appel téléphonique d'un certain Djamel Ben Yelles et à ses cotés un certain Cheb Moumen. Ils me disent qu’ils ont un gros concert de prévu mais que leur musicien aux claviers vient d’avoir un grave accident et ne pourra donc pas les accompagner. Djamel me demande si je serais d’accord de le remplacer pour ce concert qui se déroulera à Budapest. Il s’agit du premier Festival de World Music des pays de l’Est après la chute du mur de Berlin et du rideau de fer !

Si j’accepte, il sera question que je rejoigne neuf autres musiciens du groupe, dont : l’un des guitaristes des Wailers (Bob Marley), un saxophoniste de Santana, le percussionniste de Cheb Khaled, Rubens Santana fameux bassiste Brésilien, un percussionniste latino, Karim Zyad à la batterie, Djamel Ben Yelles au violon, Cheb Moumen au chant et une jeune chanteuse suédoise qui est choriste.

Entre douze et seize compositions originales seront au programme : raï, traditionnel, funk, rock, reggae, ballades, Gnawa dance music. Il ajoute qu’une cassette avec les morceaux pourra m’être livrée par coursier d’ici une heure et avec laquelle je pourrais m’entraîner. Il conclu en disant : ”et ça… c’est vraiment bien !”.

Je lui demande ensuite quand aura lieu ce gros concert et ils me répondent en choeur : ”Demain soir ! On a l’avion pour Budapest en matinée... Alors tu es partant ?”.

Avant de leur répondre, je tente de résumer vite toutes ces informations : ”alors bon, nous parlons de 12 à 16 morceaux, des styles musicaux que je n’ai jamais joué avant, je dois apprendre tout cela d’oreille à l’aide d’une cassette et le tout pour être en concert demain”… Une goutte de sueur a perlé sur mon front avant que je réponde : ”D’accord”.

Une heure plus tard, un coursier me livre effectivement une cassette et une feuille contenant les titres (écrit en arabes phonétique). Il y a 16 titres écrits sur la feuille, au dos quelques accords écrits en grilles pour deux musiques et, sur la cassette, je trouve seulement 8 enregistrements. Autant dire que ma nuit a été particulièrement active.Le lendemain, après cette nuit blanche, je rejoins les musiciens à l’aéroport et nous voilà en route pour Budapest.

Dans l’avion, Djamel me précise que la liste des morceaux écrit sur la feuille n’est pas forcément l’ordre exact de ce qui sera joué sur scène et il ajoute ”Mais vraiment t’inquiète pas, en général j’annonce sur scène le titre suivant aux musiciens”. Cette information ne va pas pour me rassurer mais au point où j’en étais c’était presque de l’ordre du détail.

L’arrivée au Festival à Budapest nous a surpris. Il y avait une gigantissime chapiteau avec quatre mats qui recouvrait une salle devant contenir facilement plusieurs centaines de milliers de spectateurs. La scène elle aussi était gigantesque et ma gorge s’est un peu nouée en la découvrant. Nous ne disposons que de quelques minutes pour faire le sound check avant de nous retirer dans les coulisses. Là, nous avons croisé des groupes et des formations venues de partout : Mongolie, Argentine, Cuba, Roumanie… Il semblait que tous les pays du monde s'étaient donné rendez-vous. De pauvres musiciens arrivant tout droit du Tchad étaient habillés de leurs djellabas et, surpris par les températures de l’europe de l’est, tremblaient de tous leurs os.

L’heure avançait et, peu avant la montée en scène, le leader du groupe me demande si je veux bien ouvrir le concert en allant seul sur scène pour jouer le premier accord du premier morceau de la liste avec une nappe de Synthé. Il m’explique que dès que l'ambiance sera posée, il me rejoindra sur cette pédale (accord unique et continu) avec un solo de violon. Les autres musiciens entreront quant à eux plus tard, sur un signal du violon. Je réfléchis au preset de Synthé qui me serait nécessaire pour installer un climat de départ un peu mystique, contemplatif.

Peu après, le guitariste des Wailers qui remarque que mon trac monte en puissance, s'approche de moi. Il jette ses dreadlocks en arrière et me tend amicalement sa ”cigarette qui fait rire” en m’assurant que cela me détendra. Bien que je ne fume jamais d’herbe, la panique et le stress aidant, je ne discute pas et tire quelques bouffées. Erreur... erreur monumentale que d’accepter ce genre de présent de la part d’un jamaïcain et encore plus, juste avant de monter sur scène. Les lumières de la salle s’éteignent, les clameurs du public montent en flèches lorsque le régisseur se précipite sur moi dans le noir des coulisses. Il me glisse à l’oreille : ”Go ! C’est à toi”.

J’entre dans un noir absolu sur cette immense scène. Dans le même temps, les effets de la cigarette Jamaïcaine explosent en moi et les millisecondes deviennent des années. Et… et je ne retrouve pas mon clavier dans le noir ! Les bras en avant, je cherche sans trouver. J’entends bien la houle du public plongé lui aussi dans les ténèbres. Je butte contre un speaker de retours, reviens en arrière et finalement, comme un phare dans la nuit, je discerne une led rouge de mon clavier juste à quelques mètres de moi. Je touche enfin les notes de mon clavier. Je me sens comme Ray Charles, la survie dépend du toucher et je plaque l’accord d’introduction. Le son est monstrueux et les basses de ma main gauche font trembler le sol. Une puissante poursuite (spot) s’ouvre alors sur moi. Voilà... le public me découvre mais la lumière intense dans mes yeux m’empêche de le voir.

Après ce qui m’a semblé être une décennie, Djamel entre enfin sur scène avec son violon. Ses volutes orientales se tissent avec le tapis sonore que je fais constamment évoluer à l'aide de divers réglages. L'instant est presque religieux lorsque les autres musiciens entrent à leur tour. D'une seul coup, sur un signal qu'ils avaient tous repéré dans le jeu du violon mais que je ne connaissais pas, un groove puissant et retentissant débarque.

Mes souvenirs du reste du concert sont assez confus... Je me rappelle du leader criant le titre du prochain morceaux mais dans un arabe si parfait que jamais je ne réussis à comprendre duquel il s'agissait. Je me rappelle de mes doigts glissant à la façon d’un snowboard à la recherche désespérée de la tonalité du nouveau morceau (heureusement je finissais toujours par le trouver). Et puis je me souviens de cette belle sensation d'être assis sur un réacteur de jet, entouré de ces musicien·nes aguerri·es qui envoyaient ”du lourd”. 

A la fin du concert, quelques indices m'ont indiqué que je n’étais finalement pas complètement à coté de la plaque. Il y a eu le tonnerre d’applaudissements et les cris du public qui accompagnaient notre retour en coulisse, les tapes amicales sur l’épaule des musiciens et finalement, Djamel qui me lança : ”tu es libre la semaine prochaine ?”.

Enfin, il y a eu le retour pour Paris. A l’aéroport de Budapest, un long cordon de douaniers nous attendaient à la porte de contrôle. En imaginant le contenu du flight-case de mon éminent collègue guitariste jamaïcain, j'étais saisi d'effroi. D’horribles images de prisons sordides Hongroises m'arrivaient en tête lorsque soudain, leur chef s'adressa à nous d’une voix grave mais un peu secrète :” mes collègues et moi étions à votre concert hier et... on voulait vous demander si vous pourriez nous signer des autographes ?”    (…)   C'est l'une des nombreuses anecdotes qui ponctuent ces 5 ou 6 années passée en compagnie du raï et des musiques orientales.


18. Groove warriors, France

Dans la seconde partie des années 90, j’ai rencontré et joué avec les musiciens d'une autre formation bien déjantée, nommée : ”Wonder Groove Factory”. Ce brass-band cuisinait déjà depuis quelques temps un menu original Jazz, épicé de funk, soul, influences world music, blues, rock, reggae et d’autres saveurs contemporaines.

Tout cela bouillait et mijotait dans les partitions écrites par plusieurs membres du groupe. Tous musiciens renommés, ils se sont fait un nom sur les scènes et studios de Paris, aux festivals de jazz européens, sur d’autres continents et en jouant avec des grands noms, tels que : Jo Zawinul, Manu Dibango, Gilberto Gil et bien d’autres.

Je suis donc extrêmement touché lorsque mon ami batteur, vibraphoniste et punk, Norbert Lucarain, m’annonce qu’il a proposé aux membres du groupe (pour qui j'avais déjà de l'admiration), l’idée que je rejoigne cuivres, bois, métal et peaux avec mes claviers et mes sons bizarres. Une répétition fût mon examen de passage.

J’ai ainsi rencontré Daniel Casimir (tromboniste), Philippe Selam (saxophoniste), François Thuillier (tubiste) et aussi Nicolas Genest (trompettiste et compositeur), avec qui j’ai quand même signé mon premier (et dernier) solo de Presse-Purée sur ses poèmes comico-cosmiques. Je crois que cette prestation était également inédite pour le club de jazz ”Le baiser salé” de Paris où nous jouions. Je collabore encore aujourd'hui régulièrement avec Nicolas.

Wonder Groove Factory me fait donc le plaisir de m'accueillir et nous voilà partis pour préparer une tournée dans les festivals de jazz de France ainsi qu'un projet d’album. Lorsque j’ai découvert pour la première fois leurs partitions, je suis tombé de haut. Le niveau, l’intelligence des structures et la créativité étaient incroyables.

C’est aussi avec eux que j’ai découvert le club de jazz et laboratoire musical ”Les instants chavirées” à Montreuil. Un endroit un peu fou où les jam-session et les rencontres improbables s’enchaînaient. Sur scène, il pouvait arriver par exemple que s'invite un joueur indien de tabla, un joueur de cuillère roumain et une chanteuse africaine et hop ! Les expérimentations commençaient.

J’ai eu la chance de faire avec les W.G.F. un concert fabuleux lors du Festival de Jazz de Rheims. La scène était posée au pied de l’imposante cathédrale et faisait face à l'immense esplanade, remplie de public. Je me rappelle qu’à ce concert, j’avais joué un solo à l’aide d’un instrument de ma fabrication qui fusionnait : le son d’un Synthé Moog, d’un piano Fender Rhodes, des grincements de portes et le son d’un rasoir électrique que j’avais samplé.

Cette expérience avec eux fait partie de celles que j’ai eu la chance de rencontrer où l’exigence artistique, la liberté, la créativité et un gros grain de folie se côtoient à la perfection. Wonder Groove Factory tient une place de choix dans mon coeur.


19. La force du doute, France, Quebec, Congo

Fin 80, début 90, je rencontre trois acteurs et auteurs sortis de la célèbre école du Clown, l'école Lecoq. Il s'agit de Guy Lafrance et Marc Amiot originaire du Quebec ainsi que Karim Yazi français d’origine algérienne. Ils ont fondé ensemble la Cie de théâtre Kygel. Nous sommes devenu rapidement de grands amis et avons partagé bien des soirées festives et arrosées. Là, nous parlions de mille idées de spectacles et, après quelques bouteilles, imanquablement, l'accent et la fibre québécoise prenaient le pas. Cela à tel point que j'ai la vraiment l'impression d'avoir vécu à Quebec durant cette période alors que je n'y suis jamais allé.

En 92, ils m’engagent comme compositeur pour créer ensemble le spectacle ”Dérapage”. Grâce à eux et à cette magnifique pièce, j’ai pu participer à mon premier Festival d’Avignon. J'ai également pu faire la connaissance du metteur en scène, Giacomo Ravicchio dont je parle beaucoup dans d'autres textes. Guy, Karim, Marc et Giacomo occupent une place fondamentale dans mon apprentissage de l’art du spectacle. En particulier avec deux concepts majeurs qu’ils m’ont transmis : le doute et l’accident créatif.

Laisser une place ”au doute”, aussi bien dans nos propres propositions que pour nos créations, demande une certaine ouverture d'esprit. Celle-ci n'est malheureusement pas ou peu enseignée à l’école. Pourtant, douter est, selon moi, un acte important pour ne pas dire essentiel. Il m'est notamment utile pour garder en état d'éveil mon esprit critique et également un certain niveau d'exigence envers mes propres activités ou productions.

L’autre exercice d’esprit important à mes yeux qu'ils m'ont transmis est celui qui permet d’accueillir l’accident créatif (l’inattendu, l’imprévu). En particulier dans le cadre de la création artistique, je considère l'accident créatif comme une véritable opportunité voir parfois même, comme une matière première. Aujourd'hui j'ai le sentiment que ces deux principes, pour peu que l'on y soit attentif, peuvent permettre de percevoir voir d'agrandir le champs de nos libertés. Ils peuvent également, toujours selon moi, jouer aussi un rôle important dans la construction de l'éthique. En regardant les trente dernières années de création artistique, j'ai d'ailleurs le sentiment que c'est l'équilibre entre ”liberté et éthique” qui contribue à entretenir mon champs d'expression ou mon ”terrain de jeux”. Je crois que la qualité des musiques que je compose dépend également de cet attention à ces valeurs et concepts. 

Ces quatre grands monsieurs du théâtre m’ont également instruit sur la rigueur et la discipline nécessaire à qui désir devenir un jour un Clown, ainsi que les dix années nécessaires à sa naissance - ou - Comment trouver ”son” Clown. Leur richesse humaine, leur humour et les précieuses connaissances qu’ils ont partagé avec moi, ont clairement modifié mon parcours et mon écriture musicale. Je leur dois beaucoup.

Plus tard, ils m’ont également présenté un autre artiste, Lomani Mondonga avec qui j’ai collaboré pour un projet d’album. Si Lomani vit en France depuis de nombreuses années, son coeur et ses origines sont au Congo. Acteur, conteur, graphiste, scénographe, musicien et chanteur, il a de nombreuse cordes ”à sa Kora”. Je me rappelle d’une séance d’enregistrement pour son album où il est arrivé avec deux immenses bouquets d’herbes séchées.

Ils allaient devenir les instruments de l’introduction d’un de ses titres. Devant le micro, il se mis à battre l’air avec un bouquet d'herbes dans chaque mains, en dansant avec vigueur sur un rythme ternaire 6/8. Je regrette tellement de ne pas avoir eu le réflexe de prendre une vidéo pour immortaliser cet instant. Je n’avais pas imaginé que, battre de l’air avec des herbes en rythme, pouvait donner un tel résultat et une telle musicalité organique.

En moi, ce son et ce rythme éveillaient peu à peu des images. Comme des souvenirs ancestraux d'une cérémonie, d'une tribu en transe. D’autres instruments se sont ensuite invités comme par exemple les tambours congolais taillés dans un tronc d’arbre et qui sonnent grave et profond, la sanza (métalophone) sans oublier la technique de chant traditionnel de Lomani qui consiste à jouer des percussions sur sa gorge en même temps qu’il produit des mélodies.

Tout cela m’a permis de voyager au Congo, plusieurs semaines durant sans pourtant quitter mon studio. Je le remercie beaucoup pour ce si beau voyage !


20. Six heures de magie, Copenhague, Danemark

Le spectacle  Earth, Air, Water, Fire est le projet le plus fou et le plus démesuré auquel j'ai pu participer. Il s'agissait en fait d'une trilogie de pièces réunies pour un total de six heures de représentation. Ce spectacle redoublait d'inventions, de voyages, de décors, d'effets spéciaux, de lumières et de musique.

Trois entractes permettaient au public de souffler et de se désaltérer, mais à chacun d'eux, l'équipe du théâtre devait tenir les portes afin d'empêcher le public qui forçait pour entrer (avant la cloche de reprise). Les gens ne tenait plus, ils voulaient absolument la suite de l'histoire !

Ce projet dingue est né de l'imaginaire de Giacomo Ravicchio, metteur en scène d'origine italienne qui, après une carrière internationale d'acteur et auteur qui lui a valu de nombreux Awards, s'est installé en 95 à Copenhague. Au Danemark, il a fondé la Cie Meridiano avec celle qui allait devenir son épouse, Elise Müller, le comédien Lars Begtrup. Je travaille avec eux depuis 1998, à raison d'environ une création par an. Meridiano est devenue un peu ma troisième famille :)

Earth Air Water Fire raconte la vie entière de deux personnes que le destin et l'histoire du monde n'ont cessé de séparer alors qu'ils ne désiraient rien de plus que vivre leur amour. Plusieurs fois, ils se croiseront sur la planète mais, sans se voir. Plusieurs fois ils seront à deux doigts de se retrouver mais, sans y parvenir. Pourtant, jamais les liens invisibles qui relient leurs coeurs ne cesseront de traverser les océans, les guerres ou tourments de l'Histoire tout au long de leur vie.

Ces ”tourments de l'Histoire”, c'est justement ce qui a été le plus complexe et le plus difficile à re-créer sur la scène du théâtre. La scénographie imaginée par Giacomo fût un incroyable véhicule pour y arriver. Imaginez, sur scène, une façade de bois comme un immeuble dressé sur 5 m de haut et d'une dizaine de mètres de large. Ce grand mur était constitué d'un nombre incalculable de portes, de trappes et de fenêtres de tailles différentes et pourtant, l'ensemble de la structure était également capable de s'ouvrir entièrement créant ainsi un ”théâtre dans le théâtre”.

A l'intérieur, autour et devant cette grande scénographie, c'est la magie du théâtre, du théâtre noir, de la lumière, des effets spéciaux et des accessoires (souvent improbables) qui a emmené cette histoire d'amour ainsi que le public autour du globe et plus loin. Plus loins jusqu'à la station MIR et une capsule Soyouz dérivant dans l'espace. Plus loin jusqu'au pont d'un paquebot au large du Groenland. Les voyages s'enchaînaient du Danemark en Egypte, du Kremlin à l'époque de l'URSS à un aquarium géant où il nous semble avoir vu passer une sirène... un voyage fou.

Six heures de spectacle et donc... six heures de sons et de musiques aussi ! J'ai eu la chance de composer cette gigantesque bande sonore, principalement à Copenhague. Je ne me rappelle plus le temps qui nous a été nécessaire pour finaliser le spectacle mais il fût conséquent puisque les trois spectacles fondateurs Earth, Air & Water et Fire avaient demandé déjà pas moins de deux mois chacun pour leur création. S'est  ajouté à cela, le temps nécessaire à la conception du tryptyque final de six heures.

Après dix années à explorer les musiques du monde avec des artistes des quatre coins de la planète pour apprendre, je faisais enfin face à un véritable ”exercice pratique”. Une création qui m'amènerait à puiser les fruits de ces années d'exploration musicale et culturelle. J'étais comme un enfant laissé à lui-même dans un magasin de bonbons sans personne pour le contrôler, à la fois émerveillé et terrifié par l'envergure de la tâche :)

Le processus de création a été lui aussi particulier. Sous le fameux adage de la Cie Meridiano : ”ici, le mot impossible ne doit jamais être prononcé”, toute l'équipe redoublait d'effort pour surmonter les obstacles un par un. Et il y en a eu beaucoup.

J'adore voir les cerveaux se rassembler pour résoudre des problèmes techniques, une scène ou gérer un problème en commun. Face aux obstacles, j'aime assister à l'émergence de l'ingéniosité et de l'imaginaire collectif. Evidement il y a des histoires d'égo ci et là, parfois des rancoeurs ou des coups de gueule. Mais je préfère garder à l'esprit la présence de l'amour, de la bienveillance, de l'empathie et des amitiés qui sont si précieuses lorsque l'on traverse des tempêtes.

Je crois que cet amour en présence et qui peut prendre de multiples formes est l'une des raisons pour laquelle le Théâtre est un terrain d'expression si important à mes yeux.

21. Des petits cailloux en conclusion

En écrivant ces histoires, j’avais en tête l’image des ”petits cailloux blancs”. De ceux qui peuvent marquer un chemin. En fouillant ainsi dans le passé, j’en ai retrouvé quelques-uns qui ont rappelé des bouts de chemins et des histoires que j'ai eu envie de partager ici avec vous.

Le temps faisant son affaire, je me suis aussi aperçu en écrivant ces lignes que certains de ces petits cailloux commençaient à s'estomper. Ce projet m'a donné l'opportunité de faire une exploration dans le temps passionnante qui m'a permis de me remémorer ces rencontres avec des artistes, des musiques et des instruments, avec d’autres cultures et des processus de création nouveaux. 

J’espère que vous aurez trouvé autant de plaisir à lire ces histoires que j’en ai eu en les écrivant.

Je remercie l’artiste danoise Anne-Sofie Skjold Møller qui a initié l'idée de ce journal collectif. Un grand merci aussi à l’association Artecapt d’avoir soutenu ce beau projet.

Merci à vous !

Information concernant les noms des artistes que j'ai cité dans ces textes:
j'ai partagé avec vous ici des souvenirs et/ou ressentis sur ces évènements passés qui sont les miens. Naturellement, les personnes liées à ces histoires et dont j'ai cité le nom peuvent avoir des souvenirs sensiblement différents. Du fait que je les respecte du fond de mon coeur, je les invite amicalement à me contacter pour me notifier les éventuels détails ou erreurs qu'il/elles auraient trouvé et, avec leur précisions je m'empresserais de les corriger ! Merci

Vos commentaires et/ou vos questions sont plus que bienvenues

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